Les perversions narcissiques
de Paul-Claude Racamier, Éditions Payot, 2012
Racamier est le premier à décrire en 1987 le fonctionnement de la perversion narcissique, parente de la perversité, qui concerne aussi bien les hommes que les femmes.
Le « soulèvement pervers » est selon lui une stratégie de défense passagère assez courante en cas de douleur, de grave désillusion, ou d’importante difficulté. On parle de « perversion narcissique destructrice » quand la perversion s’installe durablement et de façon organisée.
Le but de cette perversion particulière est de contourner un processus psychique de deuil ou de conflit interne trop menaçant, parce que narcissiquement blessants, de les dénier, de les expulser hors de soi, sur autrui, ce qui augmente la valeur narcissique du pervers. Ce mouvement a deux visées plus profondes : le tarissement de l’envie (au sens kleinien du terme) et l’acquisition d’une immunité contre le « mal d’objet », l’intolérable incomplétude de soi, et contre le deuil originaire. Le pervers narcissique a besoin de l’autre uniquement pour en faire l’objet duquel il s’appropriera les qualités personnelles, et sur lequel il projettera tout ce qu’il dénie (clivage et projection tournant à plein régime), le tout dans un profond sentiment de ne rien devoir à cet autre.
Aux origines de cette pathologie se trouve l’illusion de remplacer vraiment et impunément auprès de la mère le père qui est évincé en pensée et en fait. L’œdipe est ainsi évité, le surmoi démantelé. Ne devant rien à personne, le pervers narcissique se considère comme l’enfant de personne et, de la sorte, souscrit puissamment au mythe de l’auto-engendrement. Sa manière de manipuler les autres est souvent particulièrement puissante : « il démonte le moi et les émois de l’autre ». Intimidation, disqualification, manœuvres manipulatoires, mensonge éhonté constituent ses armes. Véritable « escroc de la pensée », le pervers narcissique « décervèle » la personne qui lui sert d’objet, parvenant d’une façon remarquablement efficace à brouiller ses capacités de réflexion et d’analyse.
Face à ce type de pathologie, le thérapeute, contre-transférentiellement, est dans une immense difficulté d’identification. Il ressent souvent de la surprise, parfois une fascination, ou peut être pris dans un consentement masochiste. Racamier ne semble pas trop croire en une possibilité de soins efficaces pour les cas les plus rigides. La tonalité de l’ensemble de l’ouvrage est d’ailleurs assez amère : l’auteur préconise de « ne rien attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne ». Il va même jusqu’à conseiller de s’en défendre par l’humiliation : « Tuez-les, ils s’en foutent, humiliez-les, ils en crèvent ! ».
Dans la troisième et dernière partie du livre (« Les noyaux pervers ») Racamier décrit les mécanismes qui peuvent noyauter durablement un groupe ou une famille.
Que ce soit dans le cadre d’une relation à deux (amicale, amoureuse), celui de la relation thérapeutique, ou dans celui plus vaste du groupe ou de la famille, Racamier dresse un portrait clair et complet de cette pathologie, et remplit ainsi son contrat : la faire connaître « parce qu’elle sévit dans l’ombre des familles difficiles, dans les parages des cas de psychose, et dans certains cercles institutionnels. »
Adeline Ducasse