Rien ne s’oppose à la nuit
de Delphine de Vigan, Éditions J. C. Lattès, 2011
Rien ne s’oppose à la nuit est un roman à caractère biographique et autobiographique bâti à partir d’une véritable enquête au cœur de la mémoire familiale de l’auteur.
À l’origine de ce livre il y a la mère de Delphine de Vigan : Lucile, morte suicidée à soixante et un an. La nécessité d’écrire sur cette mère s’est imposée. Il a pour cela fallu à l’auteure des heures d’écoute de son oncle, de ses tantes, des heures de récolte de leurs souvenirs et de leurs témoignages.
La fille déroule au fil des pages la vie de sa mère : celle d’une enfant renfermée, d’une adolescente qui cherche la liberté. Elle décrit la bipolarité qui se déclare, faisant commettre des actes insensés.
Le récit est d’une justesse, d’une authenticité et d’une profondeur remarquables. Ni le pathos, ni la complaisance ne viennent trahir l’auteur dans son projet.
On sent la force thérapeutique qui se dégage de ses recherches et de son travail d’écriture. Delphine de Vigan se méfie de ce dernier, comme s’il risquait de l’éloigner du vrai, de trahir le réel. Il n’en reste pas moins une réalité, sans doute la plus forte : la sienne. Et cette justesse résonne tout au long du livre : derrière les mots, l’émotion est là, perceptible, communicative.
C’est un récit qui peut faire écho à l’histoire de chaque famille tant ce qu’il donne à entendre est nos failles, nos propres blessures.
Au-delà de ces résonances et du plaisir de lecture, le livre offre aux thérapeutes une description de la bipolarité éloignée des manuels de psychopathologie : une description sensible, presque incarnée, empreinte d’une réelle humanité. Le quotidien particulier de Lucile s’y déroule, donnant à voir ses moments de « folie-fantaisie » tout autant que ceux de folie plus profonde et plus terrible : les hallucinations, les délires paranoïaques, les passages à l’acte. Ce quotidien est aussi celui, en parallèle, de Delphine de Vigan elle-même, quotidien au fil duquel on ressent sa difficulté de vivre aux côtés d’une mère maniaco-dépressive : l’angoisse massive qui ne lâche jamais prise, le déficit de cadre et de repères stables, le besoin de rejet de cette mère, mêlé au besoin plus fort encore de la comprendre et de la protéger, comme pour réparer inlassablement un mal dont on ne cerne pourtant jamais tout à fait les contours.
« Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. »
« Je perçois chaque jour qui passe combien il m’est difficile d’écrire ma mère, de la cerner par les mots, combien sa voix me manque. Lucile nous a très peu parlé de son enfance. Elle ne racontait pas. Aujourd’hui, je me dis que c’était sa manière d’échapper à la mythologie, de refuser la part de fabulation et de reconstruction narrative qu’abritent toutes les familles. » Delphine de Vigan
Adeline Ducasse